N’apprenez jamais l’informatique à vos enfants !

Suite à l’article « y croire ou ne pas y croire ? » publié recement, cet article propose un approfondissement dans la réflexion de l’apprentissages de l’usage d’internet et de l’informatique auprès de chères tes blondes.

reprise d’un article proposé dans Lettre d’information du lundi 07 novembre 2011 d’a-brest ( http://www.a-brest.net/article8675.html ).

La lecture de l’article publié par Hubert Guillaud dans InternetActu du 25/10/2011 Education et nouvelles technologies : « y croire ou ne pas y croire ? » , dans lequel est cité longuement le paradoxe des parents travaillant dans la Silicon Valley et mettant leurs enfants dans des écoles Waldorf où les ordinateurs sont "proscrits", m’a donné envie de republier sur ce blog cet article.

Je l’ai écrit en 2008 pour le journal de l’Ecole Waldorf-Steiner de Lyon (Saint-Genis Laval), où mes filles on suivi une grande partie de leur scolarité et dans laquelle j’anime depuis 3 ans à la demande du collège des professeurs, un atelier "informatique" sur une période de 3 semaines. Le titre original était : Faut-il enseigner l’informatique dans une école Waldorf ? Question subsidiaire : Quand et comment convient-il de le faire ?

J’ai choisi pour ce billet un titre plus provocateur, le contenu de l’article l’est moins ;-) Il a été rédigé pour expliquer aux parents et enseignants de cette école dans quelle philosophie je comptais travailler, pour introduire pour la première fois dans le programme, une activité autour des technologies informatiques et numériques.

Faut-il enseigner l’informatique dans une école (Waldorf-Steiner) ?

Cet article n’a pas pour but de répondre définitivement à la question, mais plutôt d’ouvrir le débat en présentant le point de vue qui étaye ma pratique de médiateur des outils numériques, d’animateur multimédia et de formateur informatique, depuis 25 ans, auprès de publics de tous âges.

Cela n’a pas vraiment de sens d’enseigner l’informatique à l’Ecole, qu’il s’agisse d’une école pratiquant la pédagogie Waldorf (Steiner) ou d’une école « classique ». Il ne s’agit pas d’une discipline supplémentaire qui viendrait s’ajouter à la longue liste des connaissances obligatoires que les élèves doivent ingurgiter pour réussir à l’examen.

L’ordinateur est un outil, au même titre qu’un tableau noir et une craie, un cahier et un pavé de cire, un maillet et un ciseau à bois. De la même façon que nos enfants travaillent le matériau bois, sans faire de la Menuiserie ; qu’ils approchent l’univers de la musique, sans faire de cours de Solfège ou d’instrument, en vue de valider un niveau technique particulier ; il convient de leur proposer d’exprimer leur créativité dans un environnement numérique, en apprenant à maîtriser les gestes et les concepts de base, pour qu’ils en fassent plus tard leur propre usage.

Il y a quelques années encore, l’ordinateur était un outil technologique sophistiqué et sacralisé. Le « culte informatique » suscitait passions, enthousiasme et addictions, rejets et diabolisation. Ces temps sont en passe d’être révolus, car nous entrons dans une phase nouvelle de banalisation et de désacralisation de l’outil par les jeunes générations. Le « Culte informatique » cède la place à une « Culture numérique ». Ce ne sont plus les ingénieurs informaticiens qui « disent la messe », mais ce sont des artistes et des usagers lambda qui s’approprient les outils, les détournent et recomposent ainsi de nouveaux territoire d’expression. Développer les capacités des enfants à inventer les machines de demain

Il y a quelques années, un grand constructeur informatique mondial, a fait le constat que ses ingénieurs les plus créatifs avaient appris l’informatique sur le tard, après avoir suivi des études approfondies en sciences expérimentales. Tirant les conséquences de cette observation, la direction de l’entreprise a non seulement modifié son recrutement, mais aussi sa politique de mécénat vis à vis des établissements scolaires, en privilégiant le financement de programmes de sciences expérimentales, plutôt que le don d’ordinateurs.

L’ambition de l’éducation en matière de technologies de l’information, ne doit pas être d’apprendre aux enfants à utiliser les machines d’aujourd’hui, mais bien plutôt de développer leurs capacités à inventer les usages de celles de demain.

Une fois posés les enjeux de cette culture numérique à développer, se pose la question de l’âge le plus approprié pour aborder ces notions chez l’enfant. Le plus tôt n’est pas le mieux, surtout si l’enseignement apporté fige les connaissances dans des certitudes encombrantes. En voici deux exemples.

Dans le cadre de mes activités d’animation multimédia, j’ai le souvenir d’une séance menée auprès d’une classe de CM2 ayant pour thème « Internet, comment ça marche ? ». En procédant par raisonnement logique à partir de l’expérience pratique que les enfants avaient eu en quelques séances, la classe a réussi au cours d’une discussion d’une heure à reconstituer le fonctionnement précis du réseau internet. Les élèves qui participaient le plus, n’avaient pas internet à la maison et ont même été capables d’imaginer des solutions techniques qui n’existaient pas encore à l’époque, mais qui étaient en cours de développement dans les labos de recherche. Un élève dont le père était ingénieur informaticien et qui croyait « savoir » beaucoup de choses, s’est retrouvé complètement remis en cause car il défendait un point de vue erroné qui n’a pas résisté au questionnement inductif mené activement par ses camarades de classe avides de « comprendre ».

Le clavier AZERTY dont la disposition des touches a été étudiée à l’époque des machines à écrire mécaniques pour ralentir la frappe afin d’éviter que les balais ne s’emmèlent, n’a plus de sens depuis l’avènement de la machine électrique à boule ... et encore moins avec l’usage du traitement de texte généralisé à une foule de personnes non initiées à la dactylographie. C’est un exemple de l’absurdité qu’il peut y avoir à transmettre des techniques obsolètes sans exercer de jugement critique sur leur pertinence. Préparer les enfants d’aujourd’hui au monde de demain ?

Nous devons préparer les enfants d’aujourd’hui à savoir maîtriser les systèmes d’information qui existeront dans quinze ans. A quoi ressembleront-ils ? Je n’en ai pas la moindre idée. Rappelons nous seulement qu’il y a quinze ans (1993) :

la navigation hypertextuelle sur le web venait juste d’être inventée par un chercheur anglais du CERN de Genève,

nous n’avions pas de fournisseurs d’accès internet grand public en France,

nous n’avions pas de téléphones mobiles, de DVD, d’appareils photo numériques, de lecteurs MP3 ...

Gageons que face à l’imprévu et à l’imprévisible, la meilleure préparation reste encore de développer les capacités d’imagination, d’adaptation, de confiance en soi et dans les autres, des enfants. A partir de quel âge est-il pertinent qu’un enfant apprenne à utiliser un ordinateur ?

Je ne parle pas ici des jeux vidéo. Ce sujet mériterait à lui tout seul un article entier, (à venir peut-être ?). L’expérience montre que des enfants peuvent passer de nombreuses heures à jouer sur un ordinateur ... et avoir acquis très peu de compétences transposables dans un autre contexte d’usage.

Il savent jouer à « Age of Empire » ou aux « Sims », mais pas utiliser un ordinateur.

Il me semble que tant qu’un enfant ne maîtrise pas la lecture, la motricité fine lié au dessin de formes puis à l’écriture, que son schéma corporel n’est pas en place (latéralisation, coordination gestuelle, motricité dans l’espace), ... la confrontation avec l’ordinateur ne peut s’avérer positive pour l’enfant, car la machine aura toujours le dessus. Donc il est prudent de ne pas inciter les enfants à utiliser un ordinateur avant une dizaine d’années, surtout si on pense que ce faisant, on les prépare mieux au monde qui les attend.

Si nous voulons d’un monde où les hommes et les femmes commandent aux outils et aux machines qu’ils ont conçus et adaptés pour leurs besoins, alors soyons vigilants à placer le plus tôt possible nos enfants en situation de réussite, c’est à dire en position de maîtrise de leur environnement de travail, de jeu ou d’apprentissage et non pas en situation d’être dominés par la machine.

La meilleure stratégie pour apprendre l’informatique est celle du bricolage, du bidouillage. De l’essai-erreur, sans conséquence majeure. N’apprenez jamais l’informatique à vos enfants, c’est le plus grand service que vous pouvez leur rendre : laissez leur expérimenter et découvrir par eux-même ... et demain, ils/elles vous surprendront en développant des usages que vous n’imaginiez même pas.
L’adresse originale de cet article est http://www.revue-reseau-tic.net/N-a...

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Posté le 7 novembre 2011