L’impression 3D est-elle le moteur de la fabrication de demain ?

Reprise d’un article publié par Internet actu Par Hubert Guillaud le 08/02/12

“Il y a une sorte de pensée magique chez les geeks aujourd’hui autour de l’impression 3D”,s’énerve Christopher Mims pour la Technology Review. Alors que les imprimantes 3D deviennent accessibles aux amateurs – la Thing-o-Matic de MarkerBot ne coûte que 1 100 dollars – et que Pirate Bay estime que les “physibles” – les plans d’objets qu’on peut réaliser via des machines 3D et qui s’échangent dès à présent sur The Pirate Bay – sont la nouvelle frontière du piratage, des penseurs comme Tim Maly pensent que nous approchons de la fin de “l’expédition”. C’est-à-dire qu’il sera bientôt plus coûteux d’expédier une pièce depuis la Chine ou de n’importe quel endroit où elle est fabriquée, que de la fabriquer soi-même. Bref, nous devrions commencer à prendre pour réel les fantasmes que décrit l’écrivain de science-fiction Cory Doctorow dans son roman Makersou dans sa nouvelle Printcrime, explique Mims : un monde dans lequel n’importe quel objet peut rapidement être “synthétisé”, fabriqué.

Les promesses de l’impression 3D

“Ce n’est pas seulement prématuré, c’est absurde”, rétorque Christopher Mims. “L’impression 3D, comme la réalité virtuelle avant elle, est une de ces technologies qui suggère une tendance à l’adoption longue et élevée du fait des progrès rapides des systèmes dont nous disposons dès à présent.” Pour autant, cela n’a pas été le cas de la réalité virtuelle et il est probable que ce ne soit pas le cas de l’impression 3D, estime l’éditorialiste.

Pourtant, Christopher Mems ne porte pas un regard hautain sur l’impression 3D. Il la connait bien et n’est pas en reste de projets étonnants. Il évoque ainsi les progrès du prototypage rapide utilisé par des designers industriels comme ceux de DesignWorks qui utilisent des scanners 3D et des imprimantes 3D industrielles (comme celles d’Objet) pour apporter 3 dimensions à des objets issus du monde du jeu, des films ou des dessins animés, comme de créer des poupées de personnages de la série Doctor Who d’une manière plus rapide que ne le permettait la sculpture qu’on utilisait jusqu’alors, explique-t-il dans un autre article.

La stéréolithographie qui est à la base de l’impression 3D et qui permet de déposer des couches de matières pour construire un objet, permet de mêler dans un même objet différents types de matières. Certains envisagent ainsi de l’utiliser pour construire des moteurs de fusée hybrides (solides et liquides) permettant d’obtenir à la fois de fortes poussées dans l’atmosphère et des poussées en absence d’atmosphère. D’autres, comme n3D Biosciences, utilisent cette technique pour construire de nouveaux types de cellules, permettant de les doter de propriété qu’elles n’avaient pas auparavant comme le magnétisme, explique encore Mims. D’autres enfin ont utilisé la technique de l’impression 3D à grande échelle pour construire par exemple un moteur d’avion, dont les pièces ont été réalisées par l’entreprise spécialisée Stratasys. Bien sûr, si les pièces du moteur tournent vraiment, celui-ci ne fonctionne pas réellement : il demeure un prototype grandeur nature. Visiblement, Stratasys, spécialisée dans les impressions 3D grands formats permet d’envisager d’autres types d’applications que celles que permet le prototypage rapide traditionnel, explique encore Christopher Mims.

Pour autant, même si le spécialiste connaît bien les promesses de cette technologie, il se veut réaliste. “De là à ce que l’impression 3D – cette technologie qui promet de reproduire tous les produits que nous utilisons – devienne mature à une échelle de temps raisonnable, c’est s’engager dans un déni complet de la complexité de la fabrication moderne, voir, dans une méconnaissance des défis du travail de la matière.”

Et Christopher Mims de détailler les progrès qu’il y a encore à accomplir.


La fabrication est plus complexe

“Commençons par regarder le mécanisme. La plupart des imprimantes 3D construisent des objets en fixant de fines couches de plastiques extrudées. C’est très bien pour la création de jouets bon marché avec une résolution spatiale limitée. Mais la personnalisation de votre Mii ou de l’étui de votre iPhone, n’est pas la même chose que permettre la cuisson de la céramique dans un four, la fonte des métaux, ou le mélange de la chaux et du sable pour réaliser des produits en verre à très haute température – à moins que vous souhaitiez que tout ce qui est fabriqué avec ces matériaux soit demain remplacé par du plastique et il y a de nombreuses raisons environnementales, sanitaires ou de durabilité qui font que vous ne le souhaiteriez pas.”

“Les partisans de l’impression 3D négligent également entièrement le fait que beaucoup de choses que nous utilisons continuent d’être réalisées à partir de substances naturelles, et ce, pour de bonnes raisons”. Le bois sait être plus résistant que l’acier, et l’évolution vers l’utilisation de produits naturels pour l’emballage par exemple, nous rappellent que la force et le côté abordable du papier ou du bambou, signifie qu’à l’avenir nous risquons d’être plus à même de les utiliser que de nous en passer.

“Le rêve de l’impression 3D de prendre en charge la fabrication traditionnelle, doit être qualifiée pour ce qu’elle est : une idéologie”, estime Christopher Mims. Il faut dire qu’obtenir tous nos produits d’une machine présente dans un coin de notre maison nous semble terriblement attractif et pas seulement parce qu’elle nous ferait passer de la “personnalisation de masse” à la “fin du consumérisme”. Comme l’explique Carl Frankel dans cet article, on peut dès à présent imprimer tout et n’importe quoi. Marcelo Coehlo pour le groupe des interfaces fluides du MIT a imaginé Cornucopiaun assembleur d’aliment. Le ForgacsLab de l’université du Missouri a imprimé des cellules humaines couche après couche pour créer la première veine artificielle. La société allemande EOSa imprimé le corps d’un violon à partir d’un polymère qui ressemble (pas seulement dans son aspect, mais surtout par le son qu’il produit) au bois (voir l’article de Wiredet plus encore la vidéo). D’autres, comme le California Center for Rapide Automated Fabrication Technologies (Craft) projettent d’appliquer le prototypage rapide à la fabrication de maison (explications), rêvant d’assembler une maison en moins d’une journée.

Selon Bre Pettis, président et cofondateur de Makerbot, “l’impression 3D est profondément subversive. Sa mission est de démocratiser la fabrication de produits.” Et par là-même de modifier l’écosystème qui aujourd’hui régit leur distribution. Si on en croit les thuriféraires de l’impression 3D, à terme, c’est l’économie telle que nous la connaissons qui est appelée à être entièrement bouleversée.

“Il faut reconnaitre, qu’avec des enjeux comme ceux-ci, qui ne voudraient pas devenir croyant ?”, ironise l’éditorialiste de la Technology Review. Pour Christopher Mims, l’impression 3D est en plein hype, mais, si nous restons plus mesurés, l’avenir de l’impression 3D risque avant tout de concerner les industries traditionnelles où le prototypage rapide a déjà un impact énorme, notamment dans l’industrie du plastique. En effet, expliquait déjà en 2006 Tom Mueller, plus de 18 000 imprimantes 3D avaient été vendues de par le monde. Un sondage assez empirique auprès de dirigeants de grandes compagnies (comme HP, Bose, Chrysler…) montrait que toutes utilisaient déjà très fortement le prototypage rapide pour concevoir leurs nouveaux objets plastiques.

Comment l’impression 2D a conquis nos maisons ?

C’est dans les pages mêmes de la Technology Reviewque Tim Maly lui a bien évidemment répondu. “L’impression 3D n’a rien à voir avec la réalité virtuelle, avant de la rejeter comme une lubie de geeks, considérons déjà l’évolution de l’impression 2D. La typographie a longtemps été une industrie lourde. Les entreprises qui fabriquaient des polices de caractères étaient des fonderies qui fabriquaient des lettres de métal (…). Aujourd’hui, les polices de caractères sont quelque chose que vous choisissez depuis un simple menu déroulant sur votre traitement de texte et l’imprimante 2D vous permet d’imprimer n’importe quelle page avec n’importe quelle police.”

Nous sommes donc passés de polices métalliques et de presses centralisées, au régime actuel (des polices disponibles sur nos ordinateurs) par étapes successives. Au premier temps de l’impression personnelle, celle-ci était matricielle. Le contrat était simple : “nous vous donnons une police de merde et vous avez besoin d’un papier spécialisé pour l’utiliser, mais vous pouvez le faire à la maison”. Ces formes d’impressions n’étaient pas utiles pour beaucoup de choses, mais elles étaient utiles pour certaines choses et elles ont été utilisées suffisamment fréquemment pour qu’il vaille le coup de développer des améliorations.

“Aujourd’hui, il est devenu raisonnable pour la plupart des gens de disposer d’une pile de papier et d’une imprimante qui ne leur à peu près rien coûté, et pour les entreprises d’avoir des zones de stockage pleines de matières premières pour l’impression de documents. Les imprimeurs et les magasins d’impression ont pu garder des spécificités : la commodité de vente, leur capacité à imprimer des choses avec d’autres papiers, dans d’autres formats ou en réalisant des économies d’échelles sur les grandes quantités.”

L’argument de Christopher Mims de dire que l’impression 3D ne sera jamais une technologie mature est absurde, répond Tim Maly. “Il a raison de dire que l’impression 3D, telle qu’elle est aujourd’hui, ne remplacera pas la chaîne d’approvisionnement industrielle contemporaine. Il s’agit clairement d’une technologie de transition. Les matériaux sont nazes. La résolution n’est pas terrible. Les objets sont fragiles. La substance n’est pas recyclable.”

Mais si ces premières imprimantes 3D utilisent uniquement du plastique et ne peuvent faire que certains types d’objets : cela va évoluer, assure Tim Maly. Cela commence par des bijoux, des jouets, voire des pièces pour voiture ancienne introuvables (telles que celles que réalise Jay Leno en créant des modèles 3D en plastique qu’il fait ensuite réaliser à l’unité via des techniques plus professionnelles). De nombreuses personnes travaillent à résoudre ces questions, comme celle des matériaux qu’imagine Shapeways.

En même temps, il n’est pas difficile d’imaginer une autre convergence. Certains matériaux ou formats vont tomber en disgrâce parce qu’ils sont difficiles à faire rapidement. Pensez par exemple à la façon dont la plupart des documents sont désormais au format A4 par exemple, alors qu’il existe des dizaines d’autres formats de papiers.

Il est également important de ne pas confondre l’impression 3D et la fabrication “de bureau”. Un atelier bien équipé utilise des machines à découpe laser, des fraiseuses numériques et des tours qui lui permettent de faire des prototypes de qualité. Or, aucun de ces outils n’est vraiment de la science-fiction : ce sont des technologies établies qui deviennent chaque jour moins chères, plus accessibles, plus simples et qui permettent toujours plus de choses. Pour autant, on ne les trouve pas encore dans nos bureaux, mais déjà dans les TechShop du coin de la rue… (voir notre panorama des Makers Space).

“Quelque chose d’intéressant arrive quand le coût de l’outillage chute. Il arrive un temps où les cycles de production deviennent assez petits pour que les économies d’échelles qui justifient l’expédition depuis la Chine ne fonctionnent plus. Il arrive un point où faire de nouvelles choses n’est plus un investissement en capital, mais simplement un investissement marginal. Les magasins de fabrication sont en train de réaliser cela, tout comme les magasins d’impression nous l’ont proposé, il n’y a pas si longtemps”, conclu Tim Maly.

Posté le 13 février 2012